Cautionnement solidaire: guide juridique sur la disproportion, le devoir de mise en garde, les droits de la caution

J’interviens, depuis de nombreuses années, en conseil et en défense dans ce que l’on désigne communément comme le contentieux du cautionnement solidaire.

L’expérience acquise au fil des dossiers m’a permis de mesurer, avec une acuité particulière, la détresse morale et l’isolement auxquels sont confrontés de nombreux dirigeants lorsque leur entreprise est placée en liquidation judiciaire. Ils y ont souvent consacré leur énergie, leurs économies, parfois même leur vie personnelle, et se trouvent ensuite assignés en qualité de cautions solidaires pour des montants qu’ils ne sont plus en mesure d’assumer.

Au cours des dizaines d’entretiens menés avec ces dirigeants, un constat s’est imposé : aucune information réellement accessible, pratique et complète n’est mise à la disposition de ceux qui envisagent de signer un acte de cautionnement.

La portée exacte de leur engagement, les risques encourus, les effets du cautionnement sur leur patrimoine personnel, ou encore l’usage précis de la fiche de renseignements remise par la banque, ne leur sont que très rarement expliqués.

Cette carence d’information est d’autant plus lourde de conséquences qu’au moment où l’établissement bancaire met en œuvre l’acte de caution, il n’est pas rare que la personne caution ne dispose déjà plus d’aucun patrimoine mobilisable.

C’est dans ce contexte qu’a été conçu ce guide. Sans ambition d’exhaustivité, son objectif est clair : informer, expliquer et fournir des solutions concrètes. Il s’adresse aux dirigeants, associés, particuliers et à toute personne confrontée à une demande de cautionnement ou à une procédure engagée à ce titre.

Le cautionnement solidaire constitue l’un des engagements juridiques les plus lourds auxquels un dirigeant, un associé ou un simple particulier peut être confronté. Très fréquemment exigé par les banques dans le cadre d’opérations de financement, il emporte des conséquences immédiates sur le patrimoine personnel de la caution.

I – Les différences essentielles entre les cautions simples et solidaires :

Le cautionnement demeure, par nature, un engagement accessoire à la dette principale. Toutefois, la stipulation de solidarité en transforme profondément les effets, sans modifier sa qualification juridique, ainsi que l’a affirmé la jurisprudence.

Cette distinction entre caution simple et caution solidaire emporte des conséquences pratiques majeures, tant pour le créancier que pour la caution. Deux séries d’effets permettent de mesurer cette différence : les bénéfices de discussion et de division, d’une part, et les effets propres de la solidarité, d’autre part.

a) Les bénéfices de discussion et de division : un privilège réservé à la caution simple

-  Le bénéfice de discussion : un droit d’être poursuivi en dernier

La caution simple bénéficie du « bénéfice de discussion », qui lui permet d’exiger que le créancier poursuive d’abord le débiteur principal en saisissant et en vendant ses biens (art. 2305 C. civ.). Ce mécanisme traduit l’idée que la caution ne doit intervenir qu’en dernier recours.

- Le bénéfice de division : une répartition de la dette entre cautions

La caution simple peut également invoquer le « bénéfice de division » lorsqu’il existe plusieurs cautions pour la même dette (art. 2306 et 2306-1 C. civ.). Ce bénéfice, qui doit être expressément sollicité, permet à la caution d’être poursuivie seulement pour sa part, et non pour le tout.

- Privation de ces bénéfices en cas de solidarité

La caution solidaire, contrairement à la caution simple, est privée des bénéfices de discussion et division (art. 2305 et 2306 C. civ.). Cette privation constitue l’une des différences les plus importantes entre les deux formes de cautionnement.

b)  Effets spécifiques de la solidarité :

Lorsque la solidarité est stipulée entre la caution et le débiteur principal, le créancier peut réclamer indifféremment la totalité de la dette à l’un ou l’autre, la caution n’ayant plus le bénéfice de discussion (art. 2290, al. 2 et 2305 C. civ.). Lorsque la solidarité est stipulée entre les cautions, chacune peut être poursuivie pour l’intégralité vis-à-vis du créancier, sans bénéfice de division (art. 2306 C. civ.).

II – Les moyens et stratégies de défense :

Au fil des années consacrées à la défense des dirigeants, associés et particuliers engagés dans un cautionnement solidaire, j’ai identifié les points essentiels à leurs défenses, que la démarche soit amiable ou contentieuse.

En fin d’article, j’aborderai l’intérêt d’engager une procédure amiable avant toute action judiciaire. Cette étape, souvent négligée, peut pourtant constituer un levier déterminant pour préserver les intérêts de la caution et favoriser la recherche d’une solution équilibrée.

Nous reviendrons également sur la réforme issue de l’ordonnance du 15 septembre 2021, entrée en vigueur le 1ᵉʳ janvier 2022, qui a profondément modifié les règles relatives à la disproportion et au devoir de mise en garde. Ces évolutions renforcent la nécessité d’un examen précis des garanties souscrites et d’une stratégie de défense adaptée à chaque situation.

A – La disproportion de l’acte de cautionnement :

Tel qu’indiqué supra, la réforme des sûretés intervenue en 2021, l’ordonnance du 15 septembre 2021, entrée en vigueur le 1er janvier 2022 a sensiblement modifié la matière.

1. L’analyse de la disproportion avant la réforme de 2021 : les actes de cautionnements signés avant le 01.01.2022

L’article L. 332-1 du Code de la consommation disposait que :

« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».

A) L’engagement de la caution personne physique ne pouvait pas être manifestement disproportionné à ses biens et revenus.

Cette phrase résume à elle seule la disproportion de l’acte de cautionnement. La difficulté de cette rédaction qui a généré un nombre impressionnant de jurisprudence, réside dans la notion de manifestement disproportionné ;

En général, l’établissement bancaire fait renseigner une fiche de patrimoine, qui détaille les biens immobiliers, salaires et autres revenus et en correspondance les emprunts immobiliers et autres dettes.

Je constate fréquemment, bien que la caution se soit antérieurement engagée au titre d’autres crédits, que ces derniers ne figurent que rarement sur ladite fiche.

Une telle omission résulte, dans la majorité des cas, d’une absence totale d’information et d’accompagnement de la caution par l’établissement bancaire, alors même que ces données sont déterminantes pour apprécier la portée réelle de l’engagement souscrit et l’éventuelle disproportion qui pourrait en résulter.

► Mon conseil : prenez le temps de bien faire figurer sur votre fiche toutes les dépenses exposées par vous ou votre foyer, les autres engagements de cautionnements, de crédits etc….plus vous augmentez le passif, plus vous avez de chance de voir votre acte de cautionnement qualifié de disproportionné.

► Autre point de vigilance, le régime matrimonial, les conséquences sur le calcul de la disproportion n’est pas le même par exemple que la caution soit mariée sous le régime de la séparation de biens ou sous un régime communautaire.

► Enfin, il incombe à la caution de démontrer la disproportion au jour de la signature de l’acte.

La sanction était radicale :

Le créancier professionnel, la Banque, ne pouvait pas se prévaloir du cautionnement, sauf si la caution était revenue à meilleure fortune au moment de l’appel en paiement.

► Cela signifie en clair : la Banque ne pouvait exiger de la caution un quelconque règlement.

La condition étant qu’au jour de l’appel en paiement, le patrimoine de la caution ne permette toujours pas ledit règlement.

2. L’analyse de la disproportion après la réforme de 2021 : : les actes de cautionnements signés après le 01.01.2022

Depuis le 1er janvier 2022, l’article 2300 du Code civil encadre la disproportion et modifie sensible la sanction applicable en cas de disproportion avérée.

Mais en pratique, il convient de calculer la disproportion de la même manière que précédemment indiqué, seule la sanction est différente.

Le cautionnement manifestement disproportionné n’est plus annulé.

  • Il est réduit au montant que la caution pouvait raisonnablement garantir au moment de son engagement.

  • La règle du retour à meilleure fortune disparaît : la situation patrimoniale de la caution lors de l’appel en paiement n’est plus prise en compte.

  • L’appréciation de la disproportion se fait uniquement au jour de la signature.

  • Le juge doit réduire l’engagement au montant objectivement supportable par la caution.

► Mon avis : la difficulté majeure réside dans la détermination du montant que la caution pouvait garantir. Nous attendrons donc des décisions d’appel et de la Cour de cassation.

B - Rôle de la fiche de renseignements :

Elle constitue la pièce maîtresse dans l’analyse de la disproportion.

Il est intéressant de relever qu’aucun texte juridique ne vient régir l’existence de cette fiche.

Néanmoins, elle est en général largement utilisée par les établissements bancaires, puisqu’il s’agit in fine de déterminer si le patrimoine net de la caution est suffisant pour garantir l’opération en cours.

Documents demandés à la caution :

- le montant de ses revenus professionnels,

- épargne,

- biens immobiliers,

- emprunts immobiliers,

- autre dettes.

► Mon conseil :

-         N’hésitez pas à être exhaustif. Détaillez toutes vos charges dépenses, autres dettes, autres actes de cautionnements.

-         Pour les biens immobiliers, mentionnez le type de détention, en pleine propriété, s’il existe un démembrement (usufruit, nu propriété), les emprunts immobiliers restants dus.

-         Indiquez bien le régime matrimonial, information capitale.

-         Ne gonflez pas la valeur de vos biens immobiliers.

Par ailleurs, les éléments portés sur ladite fiche, sont difficilement contestables par une caution qui, ayant voulu obtenir un concours financier pour sa société aurait artificiellement valorisé les valeurs constituant son patrimoine.

Pourquoi ? parce que si la banque doit s’enquérir de la situation financière et patrimoniale de la caution, et la pratique usuelle est de lui faire remplir une fiche de renseignements patrimoniaux, il n’a pas, sauf anomalie apparente, l’obligation d’en vérifier l’exactitude et l’exhaustivité (il peut s’y fier) (Cass. com., 20-4-2017, n° 15-16.184 F-D

►Voici quelques exemples de cas où il est possible de limiter la portée de la fiche de renseignements :

-         Anomalie apparente : si la fiche comporte une incohérence détectable par un professionnel diligent, la banque ne peut s’y fier sans demande d’éclaircissements, ce qui ouvre à la caution la libre preuve de la disproportion (ex.: fiche indiquant séparation de biens mais mentionnant un bien « de la communauté ») (Cass. com., 20-9-2017, n° 16-11.057 F-D).

-         Connaissance par le créancier d’éléments non déclarés: lorsque le créancier savait ou ne pouvait ignorer d’autres charges ou engagements de la caution, ces éléments doivent être pris en compte au-delà de la fiche (Cass. com., 27-5-2014, n° 13-17.287 F-D ; Cass. com., 8-1-2020, n° 18-19.528 F-D)

-         Fiche trop ancienne par rapport à la date de l’engagement: si la banque accepte une fiche obsolète au lieu d’en demander l’actualisation, la caution peut librement prouver la disproportion réelle au jour de l’engagement (Cass. com., 3-5-2016, n° 14-25.820 F-D ; Cass. com., 17-5-2017, n° 15-19.018 F-D)

-         Fiche non signée par la caution: inopposabilité de la fiche, la caution retrouve la liberté de preuve (Cass. com., 29-9-2021, n° 20-14.660 F-D)[

-         Fiche signée postérieurement au cautionnement: la fiche ne peut pas être utilisée pour apprécier la proportionnalité, le créancier devant s’être enquéri avant la souscription (Cass. com., 13-3-2024, n° 22-19.900 F-B)

C - Le formalisme de la mention manuscrite dans l’acte de cautionnement :

Le cautionnement du dirigeant est soumis à un formalisme strict, dont la finalité est de protéger la caution contre des engagements dont elle ne mesurerait pas pleinement la portée.

La réforme du 15 septembre 2021, entrée en vigueur le 1er janvier 2022, a profondément modifié ce formalisme.

1) Avant la réforme : un formalisme rigide et sanctionné par la nullité

Jusqu’au 31 décembre 2021, l’ancien article L. 331-1 et L331-2 du Code de la consommation imposait une mention manuscrite très précise.

  • La caution devait recopier intégralement et à l’identique la formule légale.

  • Toute omission, modification ou formulation différente entraînait la nullité du cautionnement, sauf erreurs purement matérielles (ponctuation, grammaire).

  • La jurisprudence avait cependant admis certaines tolérances, par exemple : l’omission du mot « biens » limitait le gage du créancier aux seuls revenus de la caution, sans annuler l’acte ; la juxtaposition des mentions légales pouvait être tolérée si le sens de l’engagement n’était pas affecté.

  • La signature devait en principe précéder la mention, mais certaines décisions admettaient la validité si la mention suivait d’un paraphe.

2) Après la réforme : un formalisme unifié et assoupli :

Depuis le 1er janvier 2022, le formalisme est défini par l’article 2297 du Code civil.

  • La caution doit indiquer dans l’acte, à peine de nullité, qu’elle s’engage à payer au créancier ce que doit le débiteur en cas de défaillance, dans la limite d’un montant exprimé en toutes lettres et en chiffres.

  • En cas de différence entre les deux, c’est la somme écrite en toutes lettres qui prévaut.

  • La mention n’est plus figée dans une formule imposée : le texte est plus souple et compatible avec la dématérialisation (signature électronique).

► Mon avis : Pour les actes de cautionnements souscrits après le premier janvier 2022, en effet, le formalisme est très simplifié. Néanmoins, il ne faut négliger l’analyse de la mention, si par exemple, le nom de créancier était omis, la jurisprudence antérieure trouverait à s’appliquer et il serait possible de prétendre à la nullité de l’acte de cautionnement.

D. L’obligation de mise en garde du créancier :

La principale modification de la réforme consiste à supprimer le distinguo entre caution avertie et caution non avertie, qui avait donné lieu à une jurisprudence fleuve de la part de la Cour de cassation.

1 – La mise en garde pour les actes de cautionnements souscrits avant le premier janvier 2022 :

L’obligation de mise en garde reposait sur deux critères, la caution devait être qualifiée de non avertie et le crédit n’était adapté aux capacités financières de la caution ou s’il existait un risque de l’endettement né de l’octroi du prêt garanti, lequel résultait de l’inadaptation du prêt aux capacités financières de l’emprunteur.

C’est bien le distinguo entre caution avertie et non avertie qui posait le plus de problème.

La jurisprudence indiquant que la qualité de caution avertie ne se déduisait pas du statut de dirigeant ni du fait d’être un professionnel ou d’avoir déjà signé plusieurs garanties. Une caution n’est considérée comme avertie que si elle disposait de compétences réelles en matière financière. Ainsi, un dirigeant sans expérience du crédit demeurait une caution non avertie.

► Mon avis : Ce moyen de défense reposait principalement sur a disproportion de sorte qu’il faisait doublon avec ce premier axe de défense.

2– La mise en garde pour les actes de cautionnements souscrits après le premier janvier 2022 :

Dorénavant, l'article 2299 du Code civil dispose que : « Le créancier professionnel est tenu de mettre en garde la caution personne physique lorsque l'engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier. À défaut, le créancier est déchu de son droit contre la caution à hauteur du préjudice subi par celle-ci

E – Les points de vigilance :

Je finirai avec une liste non exhaustive de points de vigilance :

1)      Vérifier le régime temporel applicable :

Il est impératif d’identifier la date exacte de l’engagement de caution afin de déterminer le corpus juridique pertinent :

2)      Examiner la validité de la solidarité :

La solidarité ne se présume pas :

Les clauses de renonciation aux bénéfices de discussion et de division doivent être formulées sans aucune équivoque. À défaut, une demande de requalification en caution simple peut être envisagée, permettant d’invoquer utilement le bénéfice de discussion.

3)     Établir la disproportion de l’engagement. Cette analyse exige une reconstitution précise de la situation financière de la caution au jour de la signature :

  • endettement global (prêts, autres cautionnements, incidents déclarés ou non) ;

  • incohérences ou anomalies apparentes dans la fiche de renseignements ;

  • éléments dont la banque avait connaissance et que la caution n’a pas explicitement déclarés. La connaissance, même indirecte, par la banque de dettes non mentionnées peut renforcer utilement le moyen tiré de la disproportion.

4)      Mobilisation du droit commun des contrats : Indépendamment des règles spécifiques au cautionnement, l’examen des vices du consentement demeure pertinent : erreur, dol ou violences économiques. Ce contrôle peut fonder une remise en cause de l’acte, même lorsque les formalités protectrices ont été respectées.

5) Identifier les fautes imputables au créancier. Il convient de rechercher tout comportement fautif de l’établissement bancaire, notamment :

  • inertie anormale ou préjudiciable dans la gestion du crédit principal ;

  • manquement à son devoir de mise en garde, tel que consacré par l’article 2299 du Code civil. La réparation du préjudice peut conduire à une compensation judiciaire entre les dommages-intérêts dus à la caution et la dette de garantie.

6) Examiner les effets des remises ou transactions accordées au débiteur principal. Toute mesure de faveur consentie au débiteur principal profite également à la caution, y compris lorsque celle-ci est solidaire. L’analyse des actes intervenus dans la relation bancaire principale est donc indispensable.


Nathalie AFLALO