Détournement de procédure fiscale : annulation d’un redressement pour usage abusif des articles L16 et L69 du Livre de Procédures Fiscales.

En matière de contentieux fiscal, le respect de la procédure n’est pas une alternative, il s’agit d’une obligation et constitue la première garantie des droits du contribuable.

Le cas d’espèce, faisant l’objet du présent article constitue un exemple emblématique de la primauté du respect des règles procédurales.

C’est notamment le cas lorsque les articles L16 et L69 du Livre des procédures fiscales sont mobilisés pour imposer des crédits bancaires… alors même que leur origine professionnelle est parfaitement identifiée.

Une telle utilisation, contraire à la jurisprudence constante du Conseil d’État, constitue un détournement de procédure susceptible d’entraîner l’annulation pure et simple du redressement.


1. Rappel du cadre juridique : L16 et L69 LPF.

L’article L.16 du Livre des procédures fiscales permet à l’administration de demander à un contribuable des justifications lorsqu’elle a réuni des éléments laissant supposer qu’il dispose de revenus supérieurs à ceux déclarés.

De manière concrète, l’article L16 du LPF permet à l’administration fiscale de demander au contribuable des éclaircissements ou des justifications en vue de l’établissement de l’impôt sur le revenu.

En cas de réponse jugée insuffisante, l’article L69 du Livre des Procédures Fiscales (LPF) prévoit que le contribuable qui s’est abstenu de répondre à une demande d’éclaircissements ou de justifications (adressée par l’administration fiscale) peut être taxé d’office à l’impôt sur le revenu.

Ce mécanisme s’applique dans plusieurs hypothèses :

  • Absence totale de réponse à la demande d’éclaircissements ou de justifications ;

  • Réponse orale ou réponse invérifiable ;

  • Réponse hors délai ;

  • Réponse imprécise ou invérifiable sans éléments de justification.

Ainsi cet article L 69 du LPF autorise la taxation d’office… mais uniquement pour des revenus d’origine indéterminée.

Ce mécanisme n’a qu’un objectif : imposer les sommes dont l’administration ignore l’origine.

or, si elle connaît la nature exacte des revenus (BIC, BNC, revenus fonciers…), elle doit suivre la procédure propre à cette catégorie. C’est la position constante du Conseil d’État [3].

La CAA de Nantes l’a encore rappelé le 20 décembre 2012 : l’administration ne peut adresser une demande de justifications à un contribuable relevant des BIC que si elle a des indices sérieux laissant penser qu’il a perçu des revenus d’une autre source.

La Cour administrative d’appel de Nantes (20 déc. 2012) a ainsi jugé :

« L’administration ne peut adresser une demande de justifications à un contribuable imposé dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux si elle ne dispose pas d’indices sérieux laissant supposer l’existence de revenus d’une autre source ».

Autrement dit : lorsqu’un contribuable déclare déjà des revenus professionnels dans une catégorie donnée (BIC, BNC, etc.), la présomption joue en faveur de leur rattachement à l’activité déclarée, sauf preuve sérieuse du contraire.

Dans une affaire similaire [4], des revenus catégoriels connus avaient été imposés dans la mauvaise catégorie : les juges ont censuré la procédure.

2. En l’espèce.

L’affaire se présente telle que suit :

M. X, exploite en individuel une activité déclarée de vente de fruits. Ses déclarations d’impôt sur le revenu (n°2031) mentionnent clairement ses bénéfices industriels et commerciaux :

Ces montants sont parfaitement connus de l’administration.

Pourtant, en 2024, Monsieur X, est rendu destinataire une demande de justifications (L16 LPF), arguant d’une discordance entre ses revenus déclarés et les crédits bancaires constatés.

Le problème résulte du fait que l’inspecteur en charge du dossier savait parfaitement que Monsieur X exerçait une activité de vente de fruits et légumes, immatriculée, déclarée au titre des bénéfices industriels et commerciaux « BIC » et ayant fait l’objet de déclarations annuelles (formulaire n°2031).

Autrement dit : l’origine des crédits bancaires était identifiée dès le départ.

Face à des crédits clairement rattachables à une activité professionnelle, la procédure adaptée et applicable était la vérification de comptabilité.

Cette voie est certes plus contraignante pour l’administration : avis formel, possibilité pour le contribuable d’être assisté, examen contradictoire des pièces…

Pourtant à l’issue de ce contrôle, les crédits des comptes bancaires ont été taxés comme revenus d’origine indéterminée, alors que la présomption de rattachement à l’activité professionnelle n’était pas combattue par des indices sérieux.

La jurisprudence du Conseil d’État est pourtant limpide :

  • Quand l’origine est connue, la combinaison des articles précités L16 et 69 du Livre des procédures fiscales ne peut pas être utilisée.

  • La demande de justifications ne sert qu’à identifier l’origine de sommes suspectes, non à redresser des bénéfices déjà catégorisables.

  • CAA Paris, 6 juin 2002, Djeribi : des sommes identifiées comme BNC ne peuvent être taxées en revenus d’origine indéterminée.


Ce qu’il convient de retenir :

L’administration fiscale ne peut prétendre ignorer ou contourner les procédures adaptées aux catégories de revenus qu’elle connaît par faute d’une organisation ou par volonté de simplification.

Le recours au détournement de procédure doit être systématiquement envisagé et retenu dans la défense des contribuables lorsqu’une procédure inappropriée est employée. 

Benjamin Boukris