Précisions sur l’appréciation du cautionnement disproportionné

Le contexte est classique en droit du cautionnement, sa problématique relative à la disproportion anime depuis plusieurs années le contentieux bancaire et la doctrine.

Dans l’arrêt du 24 mars 2021 (n° 19-21.254), la première chambre civile de la Cour de cassation est venue préciser deux points essentiels dont la manière dont doivent être appréciés les biens grevés de sûretés dans l’évaluation du patrimoine de la caution.

Mais reprenons depuis le début :

L’article L332-1 du Code de la consommation dispose que :

« Un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation ».

L’exigence de proportionnalité du cautionnement lors de sa conclusion entre une personne physique et un créancier professionnel est maintenue : le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel ne doit pas être, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution.

Mais comment apprécie-t-on, en pratique, la consistance du patrimoine d’une caution ? C’est la question centrale soulevée dans ce litige.

Il convient de rappeler la position de la Cour de cassation en la matière :

  • La Cour de cassation a tranché que la proportionnalité de l’engagement de la caution ne peut être appréciée en tenant compte des revenus escomptés de l’opération garantie, c’est-à-dire des bénéfices futurs attendus de l’activité financée. Seuls les biens et revenus effectivement détenus par la caution à la date de la souscription de l’engagement doivent être pris en considération, à l’exclusion des gains hypothétiques liés au succès de l’opération. Cette solution a été confirmée de manière constante par la chambre commerciale et, après une période d’hésitation, par la première chambre civile, ce qui met fin à la controverse antérieure sur le sujet [3].

  • La Cour de cassation juge que les parts sociales et la créance inscrite en compte courant d’associé dont est titulaire la caution au sein de la société cautionnée font partie intégrante du patrimoine devant être pris en compte pour l’appréciation de la disproportion de son engagement au moment de la souscription. Ces éléments, bien qu’étroitement liés à la santé financière de la société cautionnée, ne peuvent être assimilés à de simples espérances de gains futurs. Cependant, leur valorisation doit être faite en tenant compte de la valeur réelle à la date de l’engagement, c’est-à-dire en considérant l’actif et le passif de la société, le cas échéant, la valeur peut être proche du nominal si la société vient d’être constituée ou n’a aucune activité [4].


1 - Les faits examinés par la Cour de cassation sont les suivants :

En 2009, deux particuliers se portent cautions solidaires, à hauteur de 52 000 € chacun, à l’égard d’une société qui bénéficiera d’un prêt de 160 000 €. Lorsque la société est placée en liquidation judiciaire, la banque appelle en paiement les deux cautions. Celles-ci s’opposent à la demande en invoquant la disproportion manifestée de leur engagement, estimant que seule une partie de leur patrimoine était réellement disponible au moment de la souscription.

Et y ajoutent le fait qu’au-delà des seules mentions figurant sur la fiche de renseignements, ils s’étaient engagés, l’un et l’autre, en qualité de caution personnelle et solidaire à concurrence de 214 500 € auprès de la Société Générale, moins de 5 mois avant leurs engagements de caution litigieux.


2 - La décision de la Cour d’appel de Pau :

La Cour d’appel de Pau accueille la défense des cautions : elle analyse leur patrimoine en ne retenant dans l’actif que les biens et valeurs libres de tout engagement ou sûreté - à l’exclusion des résidences et terrains hypothéqués ou affectés à des prêts, dont elle ne reconnaît pas de disponibilité réelle. Face à des revenus mensuels modestes et d’importantes charges d’emprunt, elle caractérise la disproportion et prononce l’inopposabilité des actes de cautionnements à l’encontre des cautions.
Par ailleurs, elle juge que les informations relatives au cautionnement antérieurement conclu par les cautions n’avaient pas à être apportées à la banque dans la mesure où une telle information n’était pas expressément demandée dans les fiches de renseignements fournies par la banque.

La banque forme un pourvoi, articulé autour des trois points suivants :

  • La cour d’appel aurait dû prendre en compte la globalité du patrimoine, y compris les biens grevés de sûretés,
    * On ne peut imposer à la banque une obligation de vérification systématique en l’absence d’anomalie apparente,

  • La cour d’appel a retenu à tort l’existence d’une « anomalie apparente » liée à l’omission, par les cautions, d’un engagement antérieur de 214 500 €, alors que ce point ne figurait pas dans la fiche de renseignements.ne pouvait retenir l’omission d’un engagement antérieur qui ne ressortait pas des documents fournis par les cautions.


3 - La Cour de cassation vient rappeler deux principes clés

a) Appréciation du patrimoine de la caution.

La cour précise que l’appréciation du caractère proportionné du cautionnement implique de tenir compte de l’ensemble du patrimoine, peu importe que certains biens soient grevés d’hypothèques ou autres sûretés. La disponibilité immédiate de l’actif n’est donc pas le critère exclusif ; ce qui compte, c’est l’évaluation intégrale du patrimoine lors de la souscription.

b) Portée de l’obligation déclarative de la caution.
La caution est tenue à une déclaration exhaustive et sincère de son patrimoine. La banque, pour sa part, n’a l’obligation de procéder à des vérifications complémentaires que si une anomalie apparente ou une incohérence ressort des documents fournis.
La caution qui a rempli, à la demande de la banque, une fiche de renseignements relative à ses revenus et charges annuels et à son patrimoine dépourvu d’anomalies apparentes sur les informations déclarées, ne peut ensuite soutenir que sa situation financière était en réalité moins favorable que celle qu’elle a déclarée au créancier.

Pour rappel : « l’anomalie apparente » en matière de cautionnement désigne une incohérence ou une contradiction évidente dans les déclarations de la caution, suffisamment manifeste pour attirer l’attention d’un banquier normalement diligent.

Seules des erreurs ou contradictions flagrantes (ex : indication d’un régime matrimonial incompatible avec la répartition des biens, absence ou imprécision concernant un engagement financier majeur) constituent une anomalie apparente justifiant une vérification par la banque.

Benjamin Boukris